Gilles Fleury est directeur de l’école primaire des Dominos qui porte le projet.
En quoi consiste le projet De l’encre à l’écran ?
De l’encre à l’écran a pour but d’initier les élèves de primaire (de la TPS au CM2) au langage littéraire et cinématographique en leur faisant découvrir des films adaptés d’albums de littérature jeunesse tout au long de l’année scolaire. Cinq films différents par cycle, soit quinze au total, sont projetés au cinéma Les Arcades de novembre à avril. La programmation a été conçue en concertation entre le directeur du cinéma, Jérémie Sassin, et les équipes enseignantes, pour éveiller les émotions et affûter le sens esthétique des élèves.
Nous organisons au mois d’avril un festival durant lequel les 600 élèves visionnent le dernier film de l’année au cinéma et votent pour leur préféré. Iels étudient des extraits de films ou des bandes-annonces à la Maison de la Jeunesse et des Associations et participent à des ateliers de création autour du cinéma et de la lecture. Pendant trois jours, c’est un événement festif avec les classes qui se rencontrent et partagent leurs émotions.
Après les vacances de printemps, une grande exposition des productions réalisées dans les classes avec des photos et vidéos prises lors des ateliers réunira les enfants à la médiathèque. Lors du vernissage ouvert aux familles, les résultats du vote pour le film préféré seront révélés.
Ce projet est financé par la Cité Éducative à hauteur de 80%, le reste est pris en charge par les coopératives scolaires.
NDLR : le label Cité Éducative est attribué pour une durée de trois ans à des quartiers prioritaires de la ville sélectionnés pour mener des actions éducatives ciblées sur un public allant de 0 à 25 ans. À ce jour, il existe 200 Cités Éducatives.
Comment articulez-vous les liens entre littérature et cinéma ?
D’expérience, le langage littéraire et le langage cinématographique sont intimement liés, avec des codes complémentaires. En classe, nous associons souvent lecture suivie et film, en passant de l’un à l’autre, en invitant les élèves à relever et à comprendre les ressemblances ou les différences dans le récit. Cette approche plaît beaucoup aux enfants : elle les amène plus facilement à lire des romans et à apprécier des films qui diffèrent de leurs habitudes.
La découverte du livre précède celle du film pour respecter le processus de création. Les extraits sont lus en classe par les enseignant·es ou dans la mesure du possible à la médiathèque Le Corbusier par le bibliothécaire, Vincent Baillot, qui suit le projet toute l’année. Il leur propose également avant la projection une lecture expressive d’un album de littérature jeunesse sur la thématique du film. Les enfants participent ensuite à un atelier de création en arts plastiques.
Organisiez-vous des séances scolaires avant de mettre en place ce projet ?
Depuis plusieurs années, mes collègues de cycle 3, notamment Laurent Avenel, proposent aux élèves de l’école de découvrir des classiques du cinéma à partir d’extraits de films. Nous organisions également des séances au cinéma avec à chaque fois un réel projet pédagogique. Par exemple, la projection du film d’animation Le Sommet des dieux était accompagnée d’une conférence avec un alpiniste et de la diffusion d’un documentaire sur l’ascension de l’Everest. Nous voulions accroître notre fréquentation du cinéma mais, même avec un tarif déjà très avantageux, le prix de la place restait un obstacle pour nos écoles de REP ou REP+.
Grâce au projet De l’encre à l’écran, nous avons pu prolonger cette expérience culturelle et pédagogique avec des enfants plus jeunes, dès la maternelle, en leur montrant des films d’animation de qualité, à l’esthétique et aux graphismes différents, des oeuvres singulières que les familles n’iraient pas forcément voir spontanément.
Comment utilisez-vous le matériel pédagogique conçu autour des films ?
Avant chaque séance, nous envoyons une newsletter à tous les enseignant·es impliqué·es avec le synopsis du film et les liens vers les dossiers pédagogiques proposés par les distributeurs. En classe, le matériel pédagogique est utilisé soit en amont pour préparer la séance, soit en aval de la projection comme prolongement. Les affiches des films accrochées dans la classe entretiennent la mémoire des élèves : c’est important pour maintenir le fil de la programmation tout au long de l’année.
Lors de séquences « découverte », des extraits et des bandes-annonces sont projetés et les enfants prennent la parole pour décrire les scènes, évoquer leurs émotions, identifier les codes utilisés au cinéma pour appuyer le récit (les cadrages, les bruitages, la musique…). Entre le cycle 1 et le cycle 3, les analyses s’affinent, le vocabulaire devient plus précis. La répétition de cet exercice collectif aiguise peu à peu le regard des élèves.
Les enfants participent aussi à des ateliers de réinvestissement des films grâce aux kits pédagogiques : en arts plastiques, en écriture ou en réalisant des courts métrages en stop motion (animation image par image).
Comment se déroulent les discussions après les films ?
À la fin de la projection, les enfants ne sont pas prêts à en discuter tout de suite : souvent iels applaudissent le film comme un spectacle vivant, iels sont encore dans l’émotion et dans le plaisir. Nous les laissons profiter de ce moment de grâce que connaît chaque spectateur·trice. Nous attendons quelques jours avant de revenir sur le film pour amener les enfants à le commenter, à donner leur avis et à poser des questions.
Est-ce que certains élèves allaient au cinéma pour la première fois ?
C’est effectivement le cas pour les enfants de maternelle, notamment celles et ceux de TPS et PS. Les enseignantes ont observé au fur et à mesure des changements de comportement chez ces très jeunes spectateur·trices : leur regard et leur attention s’affirment peu à peu. Le choix de films courts et adaptés à l’âge des enfants participe à cette réussite.
L’un des moments les plus impressionnants pour les plus jeunes était lors de la projection du programme Grosse colère et fantaisies (NDLR : adapté des albums de Mireille d’Allancé) quand la « grosse colère » renverse les objets, les jouets et les meubles dans la chambre du petit garçon. Ce moment, à la fois craint et attendu, a créé beaucoup d’émotion chez les enfants, comme s’il s’agissait de leur propre chambre !
Est-ce que le projet a changé le rapport des élèves au cinéma ?
Les rendez-vous réguliers du projet De l’encre à l’écran dans l’année scolaire permettent de ritualiser la fréquentation du cinéma des Arcades en créant une habitude, une pratique culturelle qui devient évidente. Pour la prochaine édition du projet en 2023/2024, nous espérons poursuivre sur cette lancée et convaincre les familles de fréquenter davantage les salles de cinéma. Nous réfléchissons notamment à mettre en place un « passeport ciné » dès le plus jeune âge, sous la forme d’un livret de poche à compléter avec les cinq films vus dans le cadre du projet et avec cinq pages complémentaires pour des films vus au cinéma en famille. Le dixième film serait offert pour encourager les familles à accompagner leurs enfants au cinéma et prolonger cette action culturelle.
D’après vous, pourquoi est-il important de découvrir les films au cinéma ?
Comme pour un tableau dans un musée, découvrir une œuvre dans son format réel, dans l’environnement pour lequel elle a été pensée, reste une expérience unique. Découvrir un film au cinéma, c’est profiter d’une image et d’un son exceptionnels et, surtout, c’est partager toutes les émotions avec le public qui nous entoure. Pour nos élèves, aller ensemble au cinéma participe à la vie scolaire : la culture est partagée et crée des échanges entre pairs ; de retour du cinéma, à pied, les enfants se parlent, se donnent leur avis, heureux·ses d’avoir vécu ensemble cette symbiose.
Rendez-vous sur cet article pour découvrir une sélection de livres et de films étudiés par les élèves.