Antoine Licoine est Directeur-Programmateur des cinémas Le Club à Barbezieux (16), Le Familia à Jonzac (17), Le Montmorélien à Montmoreau (16) et Le Foyer à Parthenay (79).
Comment s’organise la programmation jeune public quand on travaille sur plusieurs salles ?
Une partie de la programmation est commune entre les salles mais les particularités de chaque territoire (événements locaux, partenariats…) nécessitent d’ajuster les propositions en fonction. Nous créons un programme semestriel spécifique à chaque cinéma que nous diffusons auprès des écoles.
Nous proposons toutes les semaines des films pour le jeune public dans notre programmation courante, le samedi et le dimanche, parfois le mercredi également quand il s’agit d’une sortie nationale. Il y a aussi un rendez-vous mensuel très apprécié du public le dimanche matin : Cinépitchoun’, avec un film pour les enfants à partir de 3 ans et un film accessible dès 7 ans.
Nous participons aux dispositifs nationaux d’éducation à l’image de la maternelle au lycée et nous en faisons la promotion auprès des établissements. Par ailleurs, nous avons aussi développé nos propres propositions scolaires : par exemple, une offre ciné-maternelle avec trois films sélectionnés par un comité d’enseignants·es, ou encore un ciné-Noël avec un film art et essai jeune public. Nous souhaitons également développer une offre de documentaires dans le cadre scolaire à destination des 7-11 ans.
À Parthenay, le collectif CLOUD, composé de jeunes âgé·es de 15 à 18 ans, se réunit chaque mois pour faire une sélection de courts métrages autour de thématiques citoyennes (sexisme, harcèlement scolaire, racisme…). Le programme est ensuite projeté lors d’une séance publique gratuite. Ces soirées rencontrent un beau succès, tant auprès des jeunes du collectif que du public.
Quelles sont les spécificités du territoire ?
Nos quatre salles sont situées dans des territoires ruraux. Toutes les communes ont des écoles, des collèges, des lycées, des MJC ou des espaces jeunes qui entretiennent des liens privilégiés avec les cinémas. Sur chaque territoire, il y a un tissu associatif dense qui permet d’établir de nombreux partenariats pour accompagner les séances.
Les écoles venant en bus aux séances, le coût du transport est souvent supérieur à celui du prix des billets. Ce coût incompressible peut parfois constituer un frein à l’organisation de séances scolaires ; heureusement, les collectivités prennent le plus souvent en charge les trajets. Il faut également prendre en compte ce temps de transport dans le déroulé de la séance : nous ne pouvons pas organiser d’atelier à l’issue de la projection, car il faut que les élèves puissent être de retour à l’heure à l’établissement. C’est pourquoi nous faisons des présentations de film plus détaillées.
Comment s’organisent les séances « à la carte » ?
Avec le temps, nous avons établi de très bonnes relations avec les groupes scolaires et les différents centres socio-culturels. Ces structures nous contactent pour organiser une séance avec un film spécifique (par exemple La panthère des neiges ou Simone), ou bien nous sollicitent pour illustrer un projet ou une thématique grâce à un film. Par exemple, si la thématique est le vivre ensemble, nous pouvons proposer les programmes Pas pareil… et pourtant ! (Les Films du Whippet) ou Petite casseroles (Les Films du Préau). Pour la rentrée 2023/2024, nous avons prévu d’élaborer un catalogue détaillant nos offres à destination des publics scolaires, afin de donner de la visibilité à nos actions d’éducation à l’image.
Avez-vous d’autres projets pour la rentrée prochaine ?
Comme les opérateurs projectionnistes sont souvent seuls pour accueillir les groupes scolaires, nous allons déposer auprès de la région Nouvelle Aquitaine un dossier pour recruter un·e médiateur·médiatrice jeune public afin d’animer des discussions après les films, de mettre en place des partenariats avec les structures locales (MJC, centres de loisirs) et de développer des ateliers cinéma.
Est-ce que la création de la part collective du pass Culture a eu un impact sur l’organisation des séances scolaires ?
NDLR : La plateforme numérique ADAGE (l’application dédiée à la généralisation de l’éducation artistique et culturelle) permet de consulter, de réserver et de financer des séances grâce à la part collective du pass Culture pour les classes de la 4° à la T°.
Il semblerait en effet que cela soit plus simple pour les enseignant·es de collège et de lycée d’organiser ainsi des séances, car iels n’ont pas besoin de rechercher ou de demander un budget à leur direction. Nous recevons un peu plus de demandes avec le pass Culture.
De plus, contrairement aux autres activités culturelles du territoire (théâtre, résidence artistique…), les salles de cinéma peuvent s’adapter facilement en termes de date et d’horaire à l’organisation de séances scolaires. Tous les membres de l’équipe sont capables d’accueillir des élèves et de lancer la projection, ce qui nous permet de recevoir des groupes presque tous les jours de la semaine entre 8h30 et 22h. Cette flexibilité est très appréciée par les établissements.
Quels sont les films que vous préférez faire découvrir aux élèves ?
Il y en a tellement ! J’aime faire découvrir tous types de films aux élèves : du répertoire burlesque aux programmes de courts métrages. Nous avons de la chance d’avoir de très bons distributeurs spécialisés dans le jeune public en France.
J’ai un faible pour les films de Rasmus A. Sivertsen (La Grande course au fromage, Le Voyage dans la Lune, Le Lion et les trois brigands) mais, dans un tout autre genre, j’ai également beaucoup aimé présenter Gremlins aux collégien·nes, puis rester en salle pour écouter leurs réactions pendant la projection. Les adaptations des livres de Tomi Ungerer comme Jean de la Lune ou Les trois brigands restent pour moi des incontournables…
Racontez-nous l’un de vos meilleurs souvenirs avec les élèves !
Il s’agit de l’une de mes toutes premières séances du dispositif École et cinéma, il y a seize ans, lorsque je débutais comme projectionniste au cinéma L’Entrepôt à Paris. Je lance une copie 35 mm état 4 d’un programme de courts métrages de Charlie Chaplin (NDLR : La qualité de l’état des copies en pellicule est indiquée par des chiffres allant de 1 à 6) et je descends en salle pour vérifier le son et l’image. J’entends alors 60 enfants de 6 ans rire aux éclats, commenter et vivre le film ! Je décide de m’asseoir et de rester en salle toute la durée du film pour vivre cette séance avec elles et avec eux… Je me dis alors que ce sera mon métier : montrer des images, transmettre des émotions, des rires, des larmes !