Carine Quicelet est Responsable jeune public du cinéma L’Écran à Saint-Denis (93).
En 30 ans, elle a présenté plus de 7 500 séances et accueilli entre 33 000 et 38 000 enfants par an !
Quelles sont les grandes étapes qui ont marqué votre carrière ?
Lorsque j’ai commencé à travailler dans ce domaine, très peu de cinémas avaient un·e chargé·e du jeune public, mais il y avait le travail de Gérard Lefevre au Rex à Châtenay Malabry qui œuvrait pour un « cinéma auquel les enfants ont droit ». Nos échanges étaient passionnants et enrichissants.
D’abord Responsable jeune public à mi-temps au Trianon de Romainville, c’est en arrivant à l’Écran de Saint-Denis que j’ai pu avoir un poste à plein temps. La ville, qui comptait déjà 60 écoles à l’époque, a débloqué un demi-poste et l’association l’Écran a complété par un autre mi-temps. De 1993 à 2000, j’ai programmé tous les films proposés aux établissements scolaires et centres de loisirs, ainsi qu’aux familles. À partir de 2000, nous avons participé aux dispositifs nationaux d’éducation à l’image, mais j’ai tout de même poursuivi les dispositifs locaux que j’avais mis en place.
Quels liens avez-vous pu tisser au fil des ans avec les enseignant·es ?
C’est vraiment le plus gratifiant ! Car, même si beaucoup de « mes » professeurs partent vers de nouveaux horizons chaque année, le fait de bien connaître les directions d’écoles, les enseignant·es et les services municipaux simplifie singulièrement le travail et l’agrémente d’autant. Ce qui me rend le plus heureuse, c’est la confiance qui s’est instaurée sur nos choix de films et qui fait que les enseignant·es s’inscrivent en nombre sur tous les films que nous proposons, même les plus méconnus.
Quelle est votre vision de l’éducation au cinéma ?
Pour moi, c’est une nécessité absolue ! Face à la déferlante d’images et de vidéos de toutes sortes sur tous les écrans, l’éducation au cinéma se présente résolument comme une discipline culturelle et un outil pour le développement spirituel.
Voir un film en entier au cinéma est presque devenu une exception culturelle. Beaucoup d’enfants ont du mal à se concentrer et le rituel instauré en salle (on s’assied, on écoute, on se respecte) leur permet de retrouver, le temps du film, cette concentration nécessaire. En donnant quelques pistes de réflexion lors de la présentation, on oriente leur perception et leur compréhension des sujets abordés. S’ils·elles ont parfois du mal à saisir certaines nuances de sens dans le récit, leur culture visuelle leur permet au contraire de percevoir plus facilement d’un point de vue formel les ellipses, les flash-backs et autres procédés cinématographiques.
Présentez-nous votre offre scolaire qui est particulièrement riche et diversifiée.
Nous organisons en début d’année scolaire une présentation de saison qui reprend toutes les propositions cinéma faites aux écoles.
Nous avons mis en place deux dispositifs locaux pour les écoles : l’Écran des tout petits (12 films pour les maternelles) et Les Classiques de l’enfance, pour faire découvrir aux élémentaires des classiques du cinéma. Nous recevons pour chaque film environ 50 classes.
Voir un film en entier au cinéma est presque devenu une exception culturelle.
Des journées culturelles sont organisées en collaboration avec les structures culturelles de la ville : le Théâtre Gérard Philipe, les Archives nationales et le Festival de musique de Saint-Denis. Chaque classe découvre deux lieux culturels le temps d’une journée, sur une thématique commune. Nous organisons aussi des temps d’immersion en festival, lors de nos deux manifestations annuelles : le Panorama des Cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient et les Regards satellites.
Enfin, nous proposons aux écoles des ateliers animés en classe par un·e membre de l’équipe du cinéma ou un·e intervenant·e extérieur·e.
Quels films avez-vous préféré faire découvrir ?
Faire découvrir nos coups de coeur est un vrai bonheur, surtout lorsqu’on réussit à faire aimer un programme parfois un peu difficile et qu’il faut accompagner. Par exemple, pour le film Les Lois de l’hospitalité de Buster Keaton, j’ai dû lire les cartons pendant la projection pour permettre aux plus petit·es de comprendre les situations. Le plus important est d’offrir une visibilité aux films moins identifiés et écrasés par la communication des blockbusters. Les distributeurs jeune public comme KMBO, Les Films du Préau, Cinéma Public Films, Gebeka, et parfois Eurozoom, Haut et Court, les Films du Whippet, Malavida ou le Théâtre du Temple, sortent régulièrement des petites merveilles. Quelle joie de découvrir un beau film et de se dire qu’on va tout mettre en oeuvre pour le diffuser largement auprès de notre public !
Mes coups de coeur récents (sinon il y en aurait des dizaines !) sont : L’Odyssée de Choum, Titina, Interdit aux chiens et aux italiens, Dounia et la princesse d’Alep, Flee, Laurel et Hardy délire à deux, Les Lois de l’hospitalité, La Vie de château, la Tortue rouge, Gros pois et petit point, Qui voilà ?, Miracle en Alabama, Bonjour le Monde… et j’en oublie !
Quelles sont d’après vous les spécificités du territoire ?
Le 93 et en particulier la ville de Saint-Denis sont connus pour leur grande diversité culturelle. Beaucoup de familles de primo-arrivants s’y installent car ces villes offrent encore des lieux de vie peu onéreux et des associations qui oeuvrent pour leur accueil. Sur les 72 écoles de la ville, beaucoup de classes sont des UPE2A, qui sont souvent un public d’une grande gentillesse car heureux de découvrir le cinéma – et encore éloigné des attitudes blasées parfois adoptées plus tard dans la scolarité.
Une grosse partie du territoire de la ville est classée REP et REP+ et bénéficie pour cela de classes à effectifs réduits pour les Grandes Sections, les CP et les CE1. Cela permet un meilleur accompagnement lors des séances de cinéma et facilite le déplacement des classes sur ce grand territoire. Des séances spéciales de cinéma ont été organisées par la Ville pour toutes les classes des écoles classées en Cité Éducative.
Racontez-nous l’un de vos meilleurs souvenirs !
Impossible de choisir, j’en ai tellement ! Des rires d’enfants impressionnants pendant La Ruée vers l’or, les salles entières chuchotant « Elle arrive » à mon arrivée pour présenter la séance, des parents que j’ai connus petits et qui accompagnent maintenant leurs enfants, des enfants s’exclamant tout heureux après un film difficile « C’était incroyable ! », les rencontres émouvantes entre élèves et réalisateurs·trices (Michel Ocelot, Florence Miailhe…), les câlins des petit·es, les jurys de lycéens encadrés par un·e professionnel·le sur une journée entière…
Avez-vous des « paroles d’élèves » qui vous ont particulièrement marquées à nous partager ?
Lorsqu’on demande aux élèves pourquoi le film est en noir et blanc, il y a souvent des enfants qui répondent que « Le monde d’avant était ainsi » et que « La couleur dans la vie a existé plus tard ». Idem pour le son au cinéma : « Avant, les gens ne savaient pas parler ». Je me souviens d’un petit garçon expliquant à son copain après une séance de l’un des premiers Astérix en animation : « Dans la BD, Astérix il n’a pas cette voix-là ! »
Retrouvez toutes les informations autour des séances scolaires à L’Ecran de Saint Denis sur leur site !