Le Carnet des cinémas

Entretien avec Laëtitia Scherier, chargée d’animation et co-programmatrice au cinéma de l’Espace Jean Vilar à Arcueil

Magazine n°3
Chaque trimestre, nous donnons la parole à des professionnel·les de l’éducation à l’image pour découvrir comment se passent les séances scolaires côté cinéma. Pour ce troisième numéro, direction Arcueil dans le Val-de-Marne à la rencontre de Laëtitia qui partage avec nous son expérience et son regard sur l’accueil des élèves au cinéma. Laëtitia Scherier est Chargée d’animation et co-programmatrice au cinéma de l’Espace Jean Vilar à Arcueil (94). 

Quelle est votre vision de la programmation jeune public dans une salle de cinéma ? 

Ma vision pourrait se résumer par : conviction, patience, confiance… et amour du cinéma bien sûr !

Programmer des films pour le jeune public est un équilibre plus compliqué à trouver qu’il n’y paraît car il faut alterner entre les œuvres que l’on a envie de défendre et les films plus « grand public », sans pour autant aller à l’encontre de nos objectifs d’éveil artistique et culturel ou renier nos convictions. La confiance que l’on tisse avec les enseignant·es et les parents-spectateurs est fondamentale, d’autant qu’il n’y a aucune classification officielle qui interdit l’entrée en salle en dessous de 12 ans. Or, on ne peut absolument pas voir la même chose à 3ans qu’à 7ans!

Il faut sans cesse faire de la pédagogie pour rappeler que, par exemple, la durée d’un film entre également en compte, c’est pourquoi j’indique pour chaque film que je programme l’âge auquel je le recommande. Je pense sincèrement que notre rôle implique de laisser les enfants découvrir les films à leur rythme. J’estime que j’en suis responsable lorsqu’iels rentrent dans ma salle, que ce soit pour un moment de pur divertissement en famille ou dans une démarche d’éveil à l’art. 

Quels sont les « avantages » pour les élèves à découvrir les films au cinéma ? 

Que ce soit d’un point de vue artistique ou social, il n’y a que des avantages… tant que les enfants sont bien accompagné·es et bien accueilli·es. Est-ce que l’on apprécie autant la musique de son artiste préféré en concert qu’en l’écoutant dans les transports avec ses écouteurs ? Est-ce que l’on profite davantage d’un tableau en regardant sa reproduction sur un écran d’ordinateur qu’en allant au musée ? Ce qui fait toute la différence à mon sens c’est de découvrir l’œuvre dans les conditions pour lesquelles elle a été créée. Le cinéma est un spectacle, une expérience collective sensorielle galvanisante qui a vocation à être partagée. Vivre cette expérience en groupe, au milieu d’inconnu·es, crée un sentiment de proximité et une connexion émotionnelle indescriptible le temps d’une séance. Et c’est la beauté même du cinéma… en salle. 

Quels sont les films que vous préférez leur faire découvrir ? 

S’il y a bien sûr de petites merveilles qui sortent tous les ans sur nos écrans pour les très jeunes spectateurs et spectatrices grâce au travail de fourmi et à l’expertise de quelques distributeurs, je crois que mon cœur reste fidèle à Pat & Mat. La minutie des décors, la beauté de l’animation, les gags en cascade, l’amitié et la bienveillance entre les deux compères… tout dans leurs aventures résiste au temps.

Arrivé·es à l’école élémentaire, il y a tellement de choses que l’on a envie de leur faire découvrir et qu’iels sont en capacité de comprendre, de recevoir ! Si je devais absolument choisir, j’opterais pour l’excitation de leur projeter pour la première fois des œuvres féériques comme Je pense sincèrement que notre rôle implique de laisser les enfants découvrir les films à leur rythme. iels n’en ont encore jamais vues, comme les films de Tomm Moore, Isao Takahata ou Hayao Miyzaki. Et dès qu’iels sont en âge, virage direction E.T l’extraterrestre, puis Les Quatre cent coups… et on ne s’arrête plus. 

Est-ce que vous menez avec certaines classes des projets sur l’ensemble de l’année scolaire ? 

Au-delà des dispositifs nationaux de la maternelle au lycée qui permettent la tenue d’au minimum trois rendez- vous dans l’année, j’ai pu mettre en place des projets de découverte et de pratique pour suivre les élèves sur six mois, à raison d’un atelier par mois, tels que des parcours autour du cinéma d’animation avec la réalisation d’un film en stop motion, ou encore centrés sur l’adaptation cinématographique. Par ailleurs, de nombreux·ses enseignant·es sont très en demande et viennent presque tous les mois avec leurs élèves, ce qui permet de faire un travail de fond et de travailler notamment sur le vocabulaire cinématographique. 

Parlez-nous de votre choix de montrer aux élèves des films en version originale.

Il me tient à cœur que les enfants puissent découvrir dès que possible les œuvres dans leur langue originale sans forcément attendre le collège, comme par exemple les films de Miyazaki ou encore des grands classiques comme Le Petit fugitif. Même si l’annonce de la version sous-titrée pendant la présentation du film peut parfois leur faire un peu peur, il est important de les rassurer et de leur expliquer les raisons de ce choix. Iels s’imaginent que cela va leur demander un effort trop important de devoir lire les sous- titres et leur gâcher le film car ce n’est pas la pratique majoritaire au sein des foyers, mais à la fin de la séance, les enfants se sentent en général valorisé·es et fièr·es d’avoir pu suivre. Au-delà des questions de cinéma, cela me semble également fondamental pour l’apprentissage linguistique, la lecture et l’ouverture au monde. 

Quelles sont les particularités des séances avec les tous·tes petit·es? 

L’accueil et la présentation de séance pour les tous·tes petit·es doivent être ritualisés et c’est là que le concours des personnes à l’accueil et en cabine de projection est particulièrement précieux. Il faut les mettre en confiance, les installer dans le calme sans pour autant leur dire de se taire toutes les trente secondes. Le cinéma est un lieu de vie, pas un temple du silence. J’aime toujours leur rappeler que s’il faut respecter le film et les autres, la pire chose à faire serait de se retenir de rire devant le film. Faire une présentation vivante, anticiper leur peur potentielle du noir, laisser les lumières tamisées le temps que le film se lance et illumine la salle… autant de petites attentions qui font toute la différence dans leur expérience. 

Qu’est-ce qui marque le plus souvent les enfants lors d’une séance au cinéma ?

Sans hésitation, les émotions, l’empathie avec l’autre sur l’écran. Que ce soit la joie, la tristesse ou le profond sentiment d’injustice devant ce qui arrive au personnage principal. Les voir réagir devant le film et prendre les choses tellement à cœur, on ne s’en lasse pas. La plupart des animations leur permettent de prendre la parole et de discuter du film. Même si cela se limite parfois selon leur âge à re-raconter avec leurs propres mots, les émotions ou les incompréhensions doivent être exprimées et partagées. 

Nous avons fait récemment une visite du cinéma avec un groupe de centre de loisirs, en passant par la cabine, par les petits « passages secrets » et en rencontrant les différents membres de l’équipe à chaque poste. Découvrir les coulisses leur permet de s’approprier le lieu et de le rendre « humain ». On sentait leur fierté après la présentation du film de se retourner vers la cabine et dire : « Maintenant, c’est Antoine qui lance le film ! ».

Racontez-nous l’un de vos meilleurs souvenirs avec les élèves !

Il y en a beaucoup, mais celui qui m’a vraiment marquée en dix ans d’animation jeune public est un débat avec des CM1 après le film E.T l’extra-terrestre dans le cadre du dispositif École et cinéma. Même après 45 minutes, on ne les arrêtait plus ! Iels étaient fasciné·es par l’amitié entre les personnages, l’ambiance créée par la musique et la lumière du film. Des moments magiques qui donnent du sens à ce que l’on fait.

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