Émilie Nouveau, directrice programmatrice du Studio des Ursulines à Paris (75) et Anne-Sophie Cabaret, médiatrice culturelle, aux côtés d’Oursulines, la mascotte officielle du cinéma !
« Notre quotidien est de toujours réfléchir à hauteur d’enfant. »
Présentez-nous vos parcours respectifs.
EN : Mon parcours témoigne de mes fortes convictions envers le jeune public : j’ai toujours souhaité travailler avec les enfants et le secteur du cinéma m’a toujours passionnée. Après mes études en médiation culturelle, j’ai accumulé les expériences professionnelles dans le domaine du cinéma, toutes à hauteur d’enfant (distribution, festivals, exploitation, etc.) !
ASC : J’ai découvert l’éducation aux images en animant des ateliers en centres de loisirs. J’ai eu différentes expériences qui m’ont permis de faire un tour d’horizon des enjeux du secteur : de l’institutionnel à l’associatif, du dispositif scolaire aux actions hors temps scolaire, du cinéma Art et Essai récent aux films de patrimoine… J’aime énormément être au contact du public, faire vivre une salle aussi historique et proposer de nouvelles expériences de cinéma aux jeunes spectateur·trices !
Comment s’organise la programmation de votre mono-écran ?
EN : Notre cinéma étant spécialisé jeune public, nous sommes particulièrement reconnues par les distributeurs Art et Essai qui travaillent de manière régulière (et sérieuse !) avec ce public. Mon objectif est de proposer chaque semaine des films pour tous les âges, afin que notre cinéma puisse accueillir tous les enfants du quartier ! Nous projetons les films en avant-première, nous les diffusons dès leur sortie nationale, en continuation… Et très souvent ils sont également projetés pour la dernière fois chez nous, un vrai travail d’accompagnement des films ! La vie d’un mono-écran c’est de jongler constamment entre les évènements, la programmation du cinéma… C’est une vie de cheffe d’orchestre où tout est calculé minutieusement !
Comment sélectionnez-vous les films pour le jeune public ?
EN : Nous avons beaucoup de chance d’avoir un public très fidèle, qui nous accorde une véritable confiance sur les films et les âges que nous recommandons. Nos spectateur·trices viennent pour voir des films indépendants, loin des grosses productions. Ainsi, nous défendons une ligne Art et Essai et nous restons particulièrement vigilantes aux valeurs abordées dans les films, à la qualité de la production, etc. Notre quotidien est de toujours réfléchir à hauteur d’enfant : comment montrer les films au mieux ? Comment les accompagner ? Comment rendre notre salle le plus accessible possible pour elles·eux ?

Par ailleurs, vous proposez désormais des films aux adultes.
EN : Les enfants du quartier sont très sympas : quand ils·elles sont au lit le soir, ils·elles nous autorisent à accueillir les plus grand·es ! Nous leur proposons des rendez-vous évènementiels comme le Ciné-mailles, Les films ont des secrets, le Ciné-club de la honte, ainsi que des festivals. Le but pour nous est d’ouvrir nos portes à tous les publics. Accueillir les plus grand·es nous permet en outre de communiquer sur notre travail à destination des plus jeunes. Je vois de plus en plus d’adultes venir voir les films des plus petit·es et je trouve cela génial !
Le cinéma a fait peau neuve en 2022, qu’est-ce qui a changé avec les travaux ?
EN : Nous avons entrepris de grands travaux de rénovation de la salle, du hall d’entrée et de la façade. Le trottoir a été élargi pour assurer la sécurité des enfants. Nous avons également aménagé l’accessibilité sensorielle du lieu, cela nous permet aujourd’hui de travailler de plus en plus avec les élèves de l’Institut National de Jeunes Sourds de Paris. Ces divers travaux ont eu un effet extrêmement positif sur notre public, qui se sent spécialement bien accueilli dans cette salle de patrimoine à taille humaine. Bientôt centenaire, le Studio des Ursulines n’a pas pris une ride !

Comment travaillez-vous avec les écoles ?
ASC : Chaque trimestre, je propose une sélection de nouveautés pour des séances scolaires allant de la petite section au CM2. Ces films ont un intérêt pédagogique et méritent d’être défendus – le plus souvent, ce sont aussi des coups de coeur de l’équipe !
Par exemple, j’ai souhaité valoriser Beurk ! (Cinéma Public Films). Il s’agit d’un programme qui aborde les différentes formes d’amour, le respect de l’autre et la différence, avec des films drôles et aux techniques d’animation variées. J’ai aussi mis en avant Une guitare à la mer (Little KMBO), pour ses qualités techniques et la question de l’adaptation d’un album à l’écran ; Hola Frida (Haut et Court), pour les classes travaillant sur la peinture, les femmes artistes et le handicap…
Je mets toujours les liens des ressources pédagogiques éditées par les distributeurs pour que les enseignant·es puissent s’emparer facilement des accompagnements. Dans les périodes avec moins de sorties, notamment le troisième trimestre scolaire, je propose des sélections thématiques de films moins récents. Nous indiquons également les films accessibles aux sourd·es et malentendant·es. Chaque séance est précédée d’une présentation interactive et peut être accompagnée d’une visite de cabine, d’une exposition du film dans le hall.
Les enseignant·es vous font également des demandes particulières ?
ASC : Bien sûr, les enseignant·es peuvent nous demander le film de leur choix ou nous demandent parfois conseil sur un thème précis. Par exemple, plusieurs enseignantes voulaient organiser une projection de comédie musicale, je leur ai donc proposé des films Art et Essai adaptés à la tranche d’âge de leurs élèves en leur laissant le choix final. Ce fut Chantons sous la pluie pour une école et Le Magicien d’Oz pour l’autre !
Cela nous tient à coeur, car les enseignant·es nous font confiance et font découvrir à leurs élèves des films qu’ils·elles ne connaissent pas forcément. C’était le cas avec Selkirk, le véritable Robinson Crusoé (Little KMBO), qui faisait partie de nos recommandations et que nous avons projeté à une classe travaillant sur les pirates. Parfois, des enseignant·es découvrent des films aux Ursulines avec leurs enfants le week-end et décident ensuite d’en faire une sortie avec leurs élèves.
Comment imaginez-vous les très nombreuses animations que vous présentez aux enfants ?
ASC : Souvent, je me sers des propositions d’ateliers des distributeurs, mais j’essaie aussi de varier l’offre entre des animations « classiques », type pâte à modeler, qui ont toujours beaucoup de succès, et des animations plus originales comme les ciné-contes, le ciné-yoga, les mémory géants, un atelier de linogravure ou de noeuds marins.
Pour les 3/5 ans, je privilégie des activités créatives en petits groupes. Ils·Elles sont toujours très enthousiastes et s’expriment beaucoup sur ce qu’ils·elles ont réalisé. Pour les 6/10 ans, je favorise les animations permettant à tous les enfants de participer (quiz, escape game), toujours en m’inspirant du film programmé ! J’adore imaginer des séances évènementielles pour un si jeune public et faire de la séance un moment amusant et chaleureux.

Comment travaillez-vous avec les centres de loisirs et les associations ?
ASC : Je leur envoie tous les mois un catalogue avec les différents films programmés et les horaires. Si de nombreux centres sélectionnent leurs séances selon la date et l’horaire, de plus en plus de responsables éducatif·ves nous font vraiment confiance et choisissent en fonction de nos coups de coeur. Les enfants ne savent pas toujours quel film ils·elles viennent voir, mais font confiance à leur animateur·trice, qui fait confiance à son·sa responsable éducatif·ve, qui nous fait confiance. Cela permet de remplir des salles pour des films plus fragiles que nous aimons particulièrement.
EN : Les films les plus fragiles sont généralement les programmes de courts métrages mixtes, par exemple le magnifique programme Petits contes sous l’océan (Les Films du Préau), ou bien encore les programmes de courts pour les enfants de plus de 6 ou 7 ans car, à cet âge, les enfants peuvent facilement regarder des longs métrages et leurs parents privilégient plutôt ce format.

Racontez-nous vos meilleurs souvenirs avec les élèves !
EN : Je suis toujours émerveillée d’entendre les enfants de maternelle nous dire qu’ils·elles viennent voir des courts métrages dans notre cinéma, ou qu’ils·elles ont hâte de découvrir un autre épisode de La Petite Taupe… De vrais habitué·es du cinéma malgré leur jeune âge !
ASC : Quand le projectionniste fait discrètement bouger notre mascotte Oursulines au balcon du cinéma dans une salle remplie d’élèves de maternelle – ils·elles sont complètement émerveillé·es et surexcité·es ! Et puis, la fête des bulles pour Petits contes sous l’océan (Les Films du Préau), l’escape game spécial Le Royaume de Kensuké (Le Pacte) et la séance de Léo, la fabuleuse histoire de Léonard de Vinci (Little KMBO) en présence de Jim Capobianco…

UN CINÉMA HISTORIQUE
Le Studio des Ursulines a été fondé par les comédien·nes Armand Tallier et Laurence Myrga pour projeter des films d’avant-garde. Il s’agit de la première salle « spécialisée », précurseure des salles Art & Essai. Le cinéma, devenu quartier général des surréalistes, offre la première séance d’Un chien andalou de Luis Buñuel et Salvador Dalí. André Breton et Louis Aragon provoqueront même un scandale et une bagarre générale en interrompant la projection de La Coquille et le Clergyman de Germaine Dulac !